Pastel est la collection belge des éditions l’École des loisirs, créée dans les années 1980 à Bruxelles et qui publie auteurs et autrices belges reconnu.es, dont Anne Brouillard, Kitty Crowther ou Marine Schneider, mais aussi étrangers comme Jon Klassen notamment. Depuis quelques années, l’autrice-illustratrice belge aNNe Herbauts y publie sa série d’albums Matin Minet autour des petites aventures et de la grande amitié d’un chat du même nom et d’Hadek, un charançon. Après avoir étudié aux Beaux-Arts de Bruxelles, elle a, depuis plus de vingt ans, publié de nombreux albums principalement aux éditions Casterman et Esperluète dont Les Moindres Petites Choses, De Quelle Couleur est le vent ou Que fait la lune, la nuit, récompensés de plusieurs prix.

Après avoir abordé différents thèmes dans la série Matin Minet, du lever du jour à la beauté des cailloux, dans quatre albums d’un délicieux et minutieux petit format, voilà que le cinquième opus, Grandeur Nature, s’il nous rappelle dès la couverture la douce ambiance et les personnages attachant que l’on connaît peut-être déjà, surprend par sa taille plus grande qu’un album classique et a fortiori que les autres volumes de la série. Mais voilà que le titre se détache au-dessus de ces petits personnages semblant réjouis autour d’une toute petite pousse mais eux-même entourés d’une nature foisonnante débordant du cadre et donnant tout son sens au format du livre.

Ici, Matin Minet et Hadek se retrouvent après être montés en haut d’un chêne pour prendre de la hauteur et admirer le lac au loin. Si l’arbre en question leur semble terriblement haut, le lac lui leur paraît bien plus petit qu’ils ne s’y attendaient de cette perspective, dans un jeu d’échelle récurrent dans le travail d’aNNe Herbauts s’attachant autant au tout petit qu’au gigantesque. Voilà donc qu’ils se questionnent sur la taille d’à peu près tout et sur la relativité de celle-ci selon d’où l’on voit les choses. C’est alors qu’ils décident de mesurer ce qui est autour d’eux au sein de la forêt, armés d’un mètre pliant, d’un mètre-ruban et d’un grand souci d’exactitude. Sont mesurés les feuilles, brindilles mais aussi, à la demande d’autres animaux, le bec de l’un ou l’ombre de l’autre. De fil en aiguille, ils se heurtent à une vraie difficulté dans cette quête minutieuse et objective, comment donc mesurer l’ennui ou même l’amour ?

Par cette douce et fantaisiste aventure en forêt, les deux amis évoquent avec finesse des notions ouvrant les perspectives des lecteur.ices sans que l’autrice y apporte de réponses fermées ou définitives. L’on évoque alors ce qui est concret, tangible, mesurable et comparable. A contrario, ce qui n’est pas mesurable ni même visible mais peut tout de même exister et être aussi fort et grand que certains sentiments. L’on se penche alors sur l’abstraction et la relativité de celle-ci selon le point de vue de chacun. Voilà de grandes questions essentielles que peuvent se poser de jeunes enfants avides de compréhension du monde.

Au-delà d’une réponse formatée, les petits animaux s’en tirent par une délicieuse pirouette en décidant de planter différentes graines et pousses trop petites pour être mesurées mais à même de devenir une forêt. À force d’observation et de temps passé, l’on peut les imaginer grandir et pousser dans cette évolution lente et non figée, pas nécessairement visible à l’œil nu de cette si riche nature.

La langue d’aNNe Herbauts est précise et poétique, travaillée dans une oralité propre à l’album. Elle-même ne se considère pas plus autrice qu’illustratrice, liant totalement les deux dans sa pratique d’écriture entre le texte et l’image. La justesse, la finesse et la fantaisie des mots utilisés, que ce soit dans les espèces animales, du charançon à l’étourneau, ou dans les expressions qu’elle emploie, de potron-minet à la maison-escabelle, fascinent dès un jeune âge en apportant poésie et musicalité à la lecture à voix haute. C’est qu’il peut être réjouissant petit de découvrir ainsi de jolis nouveaux mots dont l’on devine le sens par les sonorités et les illustrations juxtaposées comme si, reprenant les questionnements de l’album, le réel était infini et toujours à découvrir et nommer pour s’en souvenir.

Dans ses illustrations fascinantes qui débordent des pages, ne montrant jamais la cime des arbres mais la vue à hauteur de petit animal, l’autrice développe autant de paysages saisissants que certains petits détails minutieux et parfois fort amusants de l’obsession des deux compères de tout mesurer. Elle mêle dans ses illustrations différentes techniques en superposition, la peinture, l’encre diluée, la craie grasse ainsi que des détails ajoutés aux feutres ou crayons. Si les différents personnages sont assez détaillés jusqu’aux expressions sur leurs visages, la nature environnante est plus floue, sans contours, avec des tâches de couleurs se fondant par endroit pour donner une forêt luxuriante et impressionnante.

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